Voici des exemples de films qui illustrent bien les problématiques rencontrées en psychothérapie individuelle ou en thérapie conjugale. Visionner ces films et réfléchir aux situations est une forme créative de travail pendant la thérapie.
Attention : je dévoile certains éléments de l’intrigue (je « spoile ») : mieux vaut avoir déjà vu le film !
Le grand bain
Encore un film qui parle du corps, cette fois par le sport. Sur les 7 hommes, 4 sont en dépression. Le personnage joué par Mathieu Amalric, d’abord, présenté comme tel. Puis le père d’un enfant qui consulte pour bégaiement, très dur, dans une forme agressive de dépression moins visible (Guillaume Canet). Puis un patron en faillite (Poelvoorde), agressif et fuyant, également dans une dépression invisible. Et enfin, un guitare-hero sans succès (Anglade, terriblement vieilli), confronté par sa fille. La confrontation à la réalité, à l’Autre, joue son rôle thérapeutique. Les hommes sont confrontés par les femmes, et réciproquement. Cette belle expérience de groupe, à la recherche de la reconnaissance dont chaque adulte a besoin, a valeur de thérapie de groupe. Même la première entraineuse (Virginie Efira) se soigne avec son groupe de nageurs branquignoles. La deuxième entraineuse (Leïla Bekhti) apporte un coup de fouet drôle, hystérique et un peu sadique, qui nous aide à sortir de la dépression. Comparé aux chatouilles, c’est évidemment un film à grand spectacle, très certainement une belle réussite pour Gilles Lellouche. Mais sur la même période, voici deux films qui traitent de la détresse psychique, du corps, et du groupe. C’est très émouvant. Sans doute un changement de société qui s’opère, sur fond de gilets jaunes, et de la visite du Président Macron à la veuve Audin.
Les chatouilles
J’ai l’impression de voir pour la première fois un film sur la pédophilie. ça n’est évidemment pas le cas (Lolita, Festen…). Mais peut-être parce qu’on suit Odette à travers sa psychothérapie : une psychanalyse lacanienne, par étapes interrompues, sur plusieurs années, jusqu’à la révélation à ses parents, puis la déclaration au commissariat, puis le procès, où Odette aide d’autres femmes, également victimes, à retrouver un peu de justice. La bande annonce est en-dessous du film. Pas de chance. C’est un sujet évidemment très difficile à traiter. On ne tombe pas dans le pathos. Tout s’entremêle, et on ne sait plus très bien si c’est vrai ou pas, c’est très cinématographique. Odette est peut-être un peu mythomane, elle est certainement borderline. La danse est un merveilleux support à l’expression par le corps, d’un corps qui fut méprisé. J’ai été surpris de constater que beaucoup de danseurs ou sportifs avaient un rapport distancié, clivé, avec leurs corps. Et beaucoup de cas de danseuses ayant subi des violences sexuelles. De nombreuses scènes sont très puissantes : lorsqu’elle danse en couple avec un non-danseur (son mec), lorsqu’elle attend son mec jusqu’à la nuit, seule comme une petite fille perdue, à la sortie du commissariat. Les 3 personnages adultes (le pervers, le père, la mère) sont très bien posés. On comprend la responsabilité de la mère, qui envoie sa fille à l’abattoir. Le film suggère que cette mère a sans doute subit le même type de violence, voire pire, et qu’elle minimise de ce fait ce qui arrive à sa fille. Un schéma de répétition familiale.
Lion
Il y a tous les éléments qu’on peut rencontrer dans une psychothérapie : l’abandon, la disparition, l’abus sexuel et la maltraitance, l’adoption, l’exil, la quête d’identité à l’âge adulte, la réconciliation et la mort. Il est appréciable que le film montre deux personnages, Soroo et son frère adopté : Soroo s’en sort plutôt bien, alors que son frère est détruit psychiquement, incapable de mener une vie sociale. On devine en filigrane la misère sexuelle des hommes, et le peu de considération accordée à la vie humaine, notamment des femmes et des enfants. Sans rien connaitre à l’Inde, on peut également lire un clivage culturel entre hommes et femmes (la scène où Soroo retrouve sa mère), sans doute à l’origine des difficultés sexuelles. Ce jeune Soroo est une forme d’Ulysse post-moderne : après avoir franchi de nombreux dangers, il retourne dans son village natal et peut enfin commencer à vivre vraiment, délivré de l’incertitude. Il serait facile de blâmer les indiens lorsque la cruauté envers les enfants est universelle et atemporelle; nous la voyons moins en France parce que nous ne souhaitons pas la voir. La scène primitive des papillons est très forte symboliquement, le papillon représentant la mue : le passage à l’âge adulte ou l’envol de l’âme vers la mort. Avec les scènes de l’orphelinat, notamment le chant collectif, cela me fait penser aux enfants juifs envoyés à la mort par la police française sous Pétain. Au-delà de la cruauté humaine et de la misère indienne, il se dégage une dimension spirituelle puissante, qu’on pourrait nommer de façon très raccourcie : l’espoir.
Mustang
Cinq soeurs confrontées à la pire forme du patriarcat : séquestrées, violées mariées de force… L’oncle pallie fait figure d’autorité paternelle, très défaillante : rigide, il n’exerce pas une autorité mais un mode punitif; schizoïde, il fait semblant d’être bienveillant le jour et abuse la nuit… Avec la complicité passive de la grand-mère. On lit en filigrane comment la tradition (basée ici sur la religion musulmane, et une condamnation du corps féminin et de la sexualité) permet de justifier la rigidité humaine : paranoïa, intolérance, punition et répression, humiliation, perversion et abus. On mesure l’échec de ce système éducatif : sur les 5 filles, une s’en sort par volonté et 2 par chance; 2 sont violées, et une se suicide. Cherchons à retrouver les attitudes du stress (soumission, évitement, compensation) : la première fille Sonay choisit l’homme qu’elle veut épouser et impose son choix à sa famille (compensation); la deuxième Selma est mariée de force (soumission); Ece est violée, s’auto-détruit jusqu’au suicide (soumission); Nur et Lale s’en sortent en prenant la fuite (évitement) grâce aux cours de conduite improvisés de Lale (compensation).
Juste la fin du monde
Un très beau film, très déprimant mais aussi très juste, qui propose des temps d’arrêt, des rêveries poétiques, sur un fond de violence permanente : violence des mots, violence des regards, des gestes. Violence latente qui peut s’abattre à tout moment. Voilà ce qu’ont vécu la plupart des patients qui consultent en thérapie. Les deux jeunes femmes consulteront sans doute. Le héros s’en « sort » mieux socialement par le narcissisme, et son frère violent s’enfonce dans la perversion, à la fois victime et bourreau. Que dire de la mère ? Qu’elle est à l’origine de ce chaos infernal ?
Ma loute
Un film très inhabituel, référence au théâtre de l’absurde (Ionesco, Beckett). Deux milieux sociaux opposés se débattent avec la réalité et l’illusion. Les pêcheurs souffrent de trop de réalité, et mangent les autres peut-être pour en retirer un peu d’âme ? Les bourgeois décadents souffrent de trop d’illusions et sont reconnectés brutalement à la réalité par les pêcheurs cannibales. Ce film parle de ce que nous abordons en thérapie : l’inceste, la confusion des genres, la violence, la schizophrénie…
Tous en scène
Le meilleur antidépresseur de ce long hivers dont nous venons de sortir est sans aucun doute ce film pour adultes et enfants, qui mêle deux tonalités très complémentaires. Sans doute grâce à une équipe internationale que je perçois comme franco-américaine : d’une part l’énergie américaine, le dynamisme, l’enthousiasme, le mouvement de la danse et du « show must go on » ; et d’autre part le sentiment, la sensibilité, le doute, l’introversion, la contemplation, et une forme d’élégance très française. Nous redécouvrons des tubes increvables qui ont traversés plusieurs décennies : « I’m still standing » d’Elton John par exemple, qu’on se repassera en boucle pour illuminer ce beau printemps qui commence.
Perfect mothers
Un film cité par Jean-Pierre Lebrun dans son livre « Les couleurs de l’inceste » qui illustre très bien le trouble lié au manque de limite et à l’absence des pères. J’ai parfois du mal à suivre qui est qui dans un film, mais là, je devais en permanence me demander qui était le fils de quelle mère et de quel père… En lisant les blogs et les réactions à la sortie du film, il est très inquiétant de constater que certains de nos contemporains ne perçoivent pas toute l’horreur décrite dans ce film. Rappelons que l’inceste et le meurtre ne sont que les 2 faces d’une même médaille. Ces deux mères auraient pu « fabriquer » des tueurs. Est-ce plus dangereux que de bons amants incestuels ?!
En équilibre
Une très belle histoire à propos du couple, et la fonction d’un couple de circonstance : un couple d’amants. Cet homme ayant perdu l’usage de ses jambes entre dans la vie de cette femme, une vie trop bien réglée. Il réussit à toucher chez elle une part d’enfance et un rêve resté inachevé : il touche son désir et le réveille. Elle s’autorise à suivre son désir jusque dans la chair, mais cette liaison extra-conjugale ne détruit pas son couple. Chacun, la femme et son amant, finira par aller jusqu’au bout de son désir de réalisation, de créativité et de maitrise.
Voyage en Chine
Un film très sensible, retenu, silencieux, très émouvant, à propos du deuil et de l’acceptation de la différence (interculturalité). Un bled perdu en Chine ressemble à un bled perdu en France. Et on est content d’y voir arriver une étrangère, une française (Yolande Moreau). La description du rituel mortuaire est également très intéressante : face au même problème, la mort, les humains trouvent différentes solutions. Il y a sans doute un rapport à la nature plus présent.
Les Hommes ! De quoi parlent-ils ?
Un beau film sur les hommes, leur difficulté à parler, entre eux, avec les femmes. Plusieurs situations sont abordées, souvent très cocasses. En VOST, on a la saveur macho des espagnols.
Her
Un film d’anticipation qui pourrait se dérouler dans quelques années : les smartphones sont omniprésent. Une compagne virtuelle vous accompagne toute la journée, allant jusqu’à organiser un repas avec des amis… et à « faire l’amour » virtuellement bien-sûr. Très en finesse.
La liste de mes envies
Dialectique amour-argent dans le couple. Ce film peut aider un homme à comprendre ce qu’une femme attend de lui dans la relation conjuguale.
Beaucoup plus en finesse psychologique que les films ci-dessous.
Les yeux jaunes des crocodiles
Illustre à merveille les rapports de perversion entre une mère et ses 2 filles devenues adultes. Entre la tante (Emmanuelle Béart), l’adolescente (Alice Isaaz) et sa mère (Julie Depardieu), dépassée et manipulée par sa fille. S’il fallait sauver quelqu’un dans cette famille, ce serait sans doute la fille, qui trouve un revirement inattendu, en dévoilant l’imposture, et se retrouve à nouveau capable d’admirer sa mère. Le personnage de Julie Depardieu illustre bien une borderline timide, une personnalité inachevée d’une très grande sensibilité, avec un manque de confiance en soi évident, et une difficulté palpable avec les hommes : schéma d’abnégation avec son ex, et difficulté à s’abandonner à l’intimité avec son beau brun universitaire. Ça s’arrange aussi pour le père qui finit par jeter son horrible femme et reconnaitre sa relation avec sa secrétaire : la magie du cinéma vient arranger la vie des couples (ceux des gentils) !
Maléfique
Ce film donne un exemple de l’origine de la maltraitance chez une mère (la fameuse marâtre des contes), son « retrait émotionnel » pour se protéger. C’est surtout une très belle illustration de l’ambivalence chez cette mauvaise mère, qui est aussi capable d’aimer. La guerre des sexes, ou comment une femme trahie et dominée par un homme toxique (le roi) peut se libérer et « retrouver ses ailes » dans une alliance avec sa fille : celle-ci libère les ailes emprisonnées de sa mère, et la mère reconnait son amour pour sa fille (Aurore, la « belle au bois dormant », qui n’est pas sa fille biologique, mais on aura compris).
Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?
Une très bonne comédie à propos de la mixité culturelle, et des communautarismes. Ce film vient à point, dans une époque de crispation internationale, sans doute trop médiatisée. Le scénariste joue avec tous les clichés communautaires, et s’amuse à montrer comment les rapports peuvent virer au conflit ou s’apaiser, entre les 3 jeunes couples et les parents (Christian Clavier et Chantal Lauby). On peut en déduire intuitivement certains principes pour réguler les conflits dans les fratries, ou gérer la cohabitation entre son couple et ses parents/beaux-parents.