Peur d’avoir peur

Si je cherchais à résumer en quoi consiste la thérapie, je ne ferais pas mieux que cet épicier indien dans sa boutique. Nous accompagnons les processus naturels qu’il faut rétablir chez le patient. Le patient a peur de souffrir, ce qui provoque sa souffrance. C’est un cercle vicieux. La vulnérabilité est le maitre mot de la thérapie. Tant que nous n’acceptons pas notre vulnérabilité, nous souffrons.

Monsieur Ramesh

 

Du paysage au jardin

La sensorialité est un autre concept clé du processus de transformation de la ville par la nature. Elle relève directement de la demande habitante contemporaine d’une nature sensible – ou sensorielle –, c’est-à-dire qui ne soit plus uniquement perçue par le seul sens de la vue, mais aussi le toucher, l’odorat, le goût et l’ouïe. Cette demande correspond à ce qu’il est possible désormais d’appeler « le passage du paysage au jardin ». Le paysage est une nature disposée pour être perçue à distance et, ceci expliquant cela, avec le seul sens de la vue. Il suppose un individu immobile, spectateur séparé de la nature. Il n’est nullement une donnée naturelle éternelle, mais une invention en lien avec une société, des institutions, des politiques, un état du développement technique et économique. Les historiens situent à l’aube de la Renaissance pour l’Europe l’invention sociale historique du paysage en résonnance, entre autres, avec l’invention de la perspective. Le paysage est le produit de sociétés où la mobilité des personnes est limitée, techniquement peu développée, socialement un privilège et économiquement non encore indispensable à la production de richesses et à la consommation. Le paysage est également le produit de sociétés où la nature est tenue pour suspecte et maintenue hors les villes, car peuplée tant de démons imaginaires que de brigands bien réels. L’invention du paysage est en corrélation avec une nature que l’on ne pratique pas, que l’on ne pénètre pas. Le jardin, à l’inverse du paysage, est une nature disposée non pas pour le seul sens de la vue, mais pour être pratiquée et vécue, d’une part, avec tous les sens du corps, d’autre part, le plus souvent possible. Le jardin est fait surtout pour être humé, touché, foulé, senti, ressenti, écouté, goûté chaque jour qui passe.

Le passage du paysage au jardin que promeut la demande sociale de nature sensible est aussi la traduction d’une appréhension historique et culturelle de la nature. Pour avoir lieu ou espérer avoir lieu, l’expérience sensorielle globale de la nature suppose un rapport à la nature fondé sur l’amour ou du moins le goût et non le rejet, sur l’accès libre et démocratique, et non limité et réservé à une minorité du haut de l’échelle sociale, mais aussi sur l’hédonisme (l’attention croissante accordée aux plaisirs du corps) et l’individualisme ou épreuve du monde par soi et pour soi. Tout autant, elle nécessite du temps libre, des activités de loisirs, ainsi qu’une mobilité habitante aisée. Or, toutes ces conditions préalables à la possibilité d’une pratique sensible de la nature comptent précisément au nombre des caractéristiques essentielles des modes de vie spécifiques à nos sociétés contemporaines.

Extrait de la revue M3
http://www.millenaire3.com/uploads/tx_revuem3/M3_n2_Web_01.pdf

Réflexions sur le zen et la physique moderne

par le Dr. Vincent Vuillemin, moine zen, chef de projet au CERN, sur une expérience du nouvel accélérateur de particules.
Source : www.zen-deshimaru.ch

Introduction

Jusque dans les débuts de notre siècle, l’approche scientifique répandue en Occident a toujours été fondée sur l’observation des phénomènes extérieurs qui nous entourent, suivie d’une approche explicative logique sous formes de théories ou de modèles. L’homme observait son monde comme un objet d’études séparé de son être propre. La réalité de notre monde était perçue comme une entité réglée par des lois immuables quoique pour l’instant inconnues, des lois échappant à notre connaissance en ce moment mais dont la découverte était considérée comme inéluctable et ne dépendant que des progrès à obtenir dans les moyens d’observation futurs [1]. Beaucoup de gens partagent d’ailleurs encore cet avis, pensant que toute réalité peut être connue à condition que les télescopes ou les microscopes deviennent assez puissants. Cette approche a l’énorme désavantage d’entretenir une séparation entre l’homme lui-même et l’univers qui l’entoure. Ceci est d’ailleurs la cause principale des dérèglements de notre monde actuel dans les domaines de l’écologie et des relations inter humaines [2]. Cette forme de connaissance a pris au cours des siècles le pas sur toute autre forme de connaissance et notamment complètement estompé dans les sociétés occidentales les connaissances intuitives ou contemplatives, plus répandues d’ailleurs au Moyen Age [3]. A ce propos d’ailleurs il ne s’agirait pas de confondre connaissance, science et technologie. L’approche méditative, et en particulier celle du zen, est considérée par beaucoup comme non scientifique. C’est une approche intégrée, c’est à dire à la fois de soi-même et du monde dont nous faisons partie, immédiate, spontanée et directe. Il est d’ailleurs facile d’en comprendre la base étant donné que les cellules qui nous composent sont similaires à toutes les cellules de notre monde, et bien entendu que nous sommes formés des mêmes atomes que toutes choses de notre univers observable. En ce sens l’observation de soi-même, de la vie qui nous habite, est l’observation d’une partie d’un tout, amenant à l’ouverture d’une connaissance plus large, s’étendant à notre monde.

Les deux approches peuvent être perçues comme orthogonales, séparées et impossibles à réunir. Cependant la physique dite moderne a subi et continue à subir, en premier parmi d’autres sciences, une révolution profonde, mettant en brèche les certitudes que nous avions sur les possibilités de notre connaissance, nous-mêmes en tant que sujets et notre monde extérieur en tant qu’objet de notre connaissance. Cela s’est passé avec l’arrivée de la physique quantique, de la relativité du temps, des notions d’espace et de dimensions de notre univers, en particulier. Ces domaines de la physique n’étaient pas formulés précisément bien entendu par les Maîtres zen de l’histoire, mais à bien des égards leur intuition profonde en ce qui concerne la virtualité du temps, la non séparation entre nous-mêmes et notre univers, est éclairé maintenant de façon évidente par les nouvelles approches de la physique développées lors des quelques dizaines d’années précédentes.

L’objet de ces quelques lignes est simplement de suggérer que les deux approches peuvent être non contradictoires mais bien au contraire complémentaires, connaissance immédiate et intégrée et connaissance fondée sur l’observation extérieure et la logique. Souvent d’ailleurs les résultats des deux approches sont très similaires et conduisent à la même perception globale de notre univers. En ce sens les réunir, tout en connaissant leurs limites propres, l’une due à la vérification, l’autre due à l’approche fragmentaire, est en soi intéressant, chaque homme désirant au fond de lui intégrer les mondes scientifiques et disons, religieux.

La physique quantique et la connaissance intuitive

Il ne s’agit pas ici bien entendu de prétendre couvrir le domaine mais d’essayer de suggérer, et non d’expliquer complètement, le parallélisme entre l’enseignement des anciens Maîtres zen et ce qui nous apparaît maintenant être admis par tous en physique quantique. Pour cela il est inévitable de rappeler quelques notions de base sur la physique quantique. Ces notions ne sont pas immédiatement évidentes pour celui, qui comme nous tous, vit dans un monde macroscopique.

Le monde macroscopique qui nous entoure est régi par les lois de causes à effet. Dans ce monde la matière est la matière et les ondes, par exemples lumineuses, sont les ondes. Par exemple, les vagues, des ondes, sont les mouvements de l’eau et l’eau est l’eau, tout simplement. Dans le monde microscopique de la physique quantique les choses ne sont pas si claires. La dualité à laquelle nous sommes habitués dans la vie de tous les jours est battue en brèche. De la même façon nous sommes habitués à observer des systèmes en interaction où l’information entre systèmes est transmise, par exemple par la lumière ou par le son. Pourtant la physique quantique a mis en évidence que la dualité entre les ondes et les particules, disons la matière, devait être dépassée. L’observation de phénomènes immédiats a également secoué nos certitudes.

Prenons un premier exemple. La lumière n’existe pas au repos mais est la propagation d’une onde, bien sûr à la vitesse de la lumière. Ce n’est donc pas de la matière, on ne pourrait faire une table avec de la lumière puisqu’elle n’existe pas au repos. D’autre part, l’électron qui est une petite particule, au sens du vocabulaire courant que nous employons, n’est pas une onde. Il se trouve que la lumière se comporte à la fois comme une onde, et comme une particule, c’est comme un grain de lumière. Les électrons, donc des particules, se comportent également comme des ondes et non des particules. Donc, quelle est la réalité ? La lumière est-elle une onde ou une particule, et l’électron est-il une particule ou une onde ? Cette notion de dualité entre les ondes et les particules doit donc être dépassée. Dans le langage il faudrait inventer un autre nom, par exemple « parton ». Parler de la matière est certainement compréhensible dans notre vie de tous les jours, mais dans le monde microscopique matière et énergie sont le même phénomène.

En physique quantique, la façon dont nous observons un phénomène détermine l’état dans lequel il est projeté dans notre monde macroscopique. Quelle est alors la réalité fondamentale des choses si notre observation elle-même définit, au sens de notre vocabulaire, que nous l’observions soit comme matière soit comme onde, sans consistance matérielle ? On entrevoit donc déjà que le seul niveau de réalité auquel nous sommes habitués doit être dépassé et qu’un nouveau niveau de réalité doit émerger, dans lequel ces contradictions peuvent être dépassées, intégrées, embrassées. Pour le mental c’est difficile à saisir, l’esprit humain voudrait conclure qu’il existe quelque chose de réel qui reste caché. Ce n’est pas le cas. Ce caché n’existe pas et la nature des choses est bien dans cette contradiction apparente, ceci si l’on se limite à un seul niveau de réalité. Pourtant il est possible de concevoir une logique qui permet, non de résoudre les contradictions, mais de les accepter. C’est une autre dimension de logique. Il en va de même en fait dans notre vie de tous les jours où nous devons embrasser les contradictions auxquelles nous sommes confrontés.

De tous temps les Maîtres zen ont affirmé que la matière est les phénomènes (l’électron l’onde) et les phénomènes sont la matière (l’onde l’électron). La nature fondamentale de toutes choses, matière, phénomènes est le vide, nommé ku. Toutes choses, tous les phénomènes, y compris les phénomènes de l’esprit, demeurent en puissance dans ku, proviennent de ku et retournent à ku. En ce sens n’existent dans notre univers que des phénomènes et aucun noumène. La matière elle-même est un phénomène et n’a pas d’existence propre, son essence est ku. Ku, bien qu’intraduisible littéralement, veut suggérer dans le langage le vide potentiellement habité par toute énergie ou matière, ce qui revient au même depuis l’équation bien connue d’Einstein E = mc2. Aujourd’hui en physique on parle de vide et de champ, ce qui en essence est la même chose. En physique des particules plus nous cherchons à comprendre les fondements de la matière, plus nous trouvons on peut dire le vide. Le vide est habité de champs interactifs qui se matérialisent lors du passage d’un grain originel, ou d’un grain de lumière, ou d’une perturbation énergétique. Il se polarise en quelque sorte. Un champ est la notion scientifique de ku dont le bouddhisme parle depuis les temps les plus anciens. La notion de particules ou d’ondes est remplacée par celle de champs. De la même façon que ku ne peut être observé lui-même, les champs ne peuvent l’être mais se manifestent de différentes façons selon la méthode d’observation ou selon la façon dont ils sont projetés dans notre monde macroscopique.

L’essence de cette nouvelle physique était déjà contenue dans l’intuition des Maîtres zen. Aujourd’hui l’approche intuitive et scientifique se sont rejointes, l’une immédiate, complète et exprimée en termes imagés, l’autre la vérifiant par des observations réalisées dans notre monde réel de tous les jours. L’approche du zen a été l’approche directe et intuitive de ku, l’approche scientifique, après de nombreuses observations, déductions et contradictions à résoudre, a retrouvé par une autre voie cette notion.

L’interdépendance: interactions et variables non locales

Prenons un deuxième exemple. Commençons cette fois-ci par l’approche du zen concernant l’interdépendance. Cette interdépendance est conçue comme immédiate et globale. Cela peut se traduire par exemple par la phrase suivante : une personne pratiquant zazen modifie l’univers entier. Comprendre cette phrase en faisant intervenir une interaction qui se propage d’abord dans notre environnement proche puis de loin en loin est certainement justifié. Cependant elle contient également une notion d’immédiat et d’universel ne faisant intervenir aucune interaction se propageant petit à petit, comme si notre univers entier était un, lié et en complète interdépendance. A priori cela semble en contradiction avec le fait que dans notre monde aucune interaction ne peut se propager plus rapidement que la vitesse de la lumière. A ce taux-là il faudrait donc des milliards d’années jusqu’à ce que l’influence d’une personne pratiquant zazen se propage aux confins de notre univers. Cependant en physique un phénomène nouveau vient d’être complètement vérifié et établi dans les derniers mois, prouvant qu’un système lié au départ le reste et qu’en changer un élément en modifie immédiatement d’autres, sans qu’il y ait eu le temps pour un quelconque signal de se propager de l’un à l’autre.

Deux grains de lumière provenant de la désintégration d’un noyau d’un atome sont émis. Ces deux grains de lumière sont envoyés de part et d’autre pour des kilomètres de distance dans des fibres optiques. Bien que séparés par des kilomètres leur état reste lié, c’est à dire qu’une modification de l’état d’un des grains est immédiatement observable sur l’autre grain sans qu’il y ait eu le temps pour un signal de se propager, à la vitesse de la lumière, de l’un à l’autre. Le phénomène est immédiat, la séparation de l’espace n’existe pas, il est discontinu. Ceci est un autre niveau de réalité. Pour l’instant aucun formalisme mathématique ne permet de passer de l’un de ces niveaux de réalité à l’autre. De passer des lois du monde quantique à celles du monde macroscopique. Cette expérience met en évidence ce qu’avaient pressenti les Maîtres zen en parlant d’interdépendance entre tous les êtres au sens large de notre univers, d’interdépendance immédiate, sans aucune séparation spatiale. Il se trouve donc dans notre univers des phénomènes qui sont restés pour longtemps inconnus du monde scientifique et qui se rapprochent de ce qui a été exprimé depuis le début du bouddhisme.

Les deux approches sont donc complémentaires en ce sens que l’intuition est certainement correcte mais peut profiter de l’observation scientifique pour la vérifier et la projeter comme phénomène réel dans notre monde visible. On pourrait comparer ce processus à la projection du monde de Bouddha, source d’intuition intégrée, dans notre monde de tous les jours, le monde de l’observation des phénomènes physiques. Sachant cela, la démarche scientifique, si elle reste modeste, peut amener l’être humain à comprendre la nature profonde des choses. Comme disait Bouddha : si je vous dis que j’ai un diamant dans mon poing fermé, vous devriez me croire. Si j’ouvre la main, vous le voyez. En ce sens la démarche scientifique dans la compréhension de notre univers facilite le fait d’ouvrir la main, ainsi tous peuvent voir le diamant.

Une autre dimension dans la réalité

Selon la découverte de Planck qui est le fondement de la physique quantique, l’énergie a une structure discrète, discontinue. La base en est le quantum. Ceci correspond à une véritable révolution. Nous sommes habitués à un monde continu, fait de relations de cause à effet, d’interactions d’un endroit à l’autre et d’un temps linéaire. Comment comprendre alors un monde fait d’entités discontinues, les quanta. Comment comprendre la vraie discontinuité, c’est à dire imaginer qu’entre deux points il n’y a rien, ni objets, ni atomes, ni particules, juste rien? Comment, bien que la physique n’ait pas abordé ce sujet réellement et que le temps soit toujours considéré comme une variable continue, comment comprendre la relation entre le temps qui s’écoule et l’instant? Combien y a-t-il de temps entre deux instants ? Le temps est-il une suite d’instants ? Comment embrasser à la fois le temps qui s’écoule et la discontinuité des instants ? En physique une situation bancale s’est instaurée, on a gardé l’espace-temps de la physique classique et les lois de la physique quantique. C’est vraiment une situation bancale amenant beaucoup de problèmes de compréhension.

Nous avons vu que les notions classiques de particules de matière et d’ondes ne sont pas des entités quantiques, très différentes des objets de la physique classique. On doit donc conclure qu’ils sont soit à la fois des ondes et des particules, soit ni des ondes ni des particules. Nous devons abandonner le dogme de l’existence d’un seul niveau de réalité. Les objets quantiques sont soumis aux lois quantiques, en rupture avec les lois du monde macroscopique. Il y a deux niveaux de réalité. Une logique simple où existent uniquement de façon séparée une chose et son contraire doit être dépassée. Par exemple si l’on reste dans le seul niveau de réalité du monde macroscopique, le monde de la dualité, les ondes et les particules apparaissent désunis, c’est une contradiction. L’introduction d’un niveau de réalité permet de dépasser cette contradiction. Par exemple, dans cette réalité l’onde et la particule sont en fait unis et appelés « quanton ».

L’émergence d’un niveau de réalité où les contradictions sont dépassées, sont naturellement embrassées, est capital. De tout temps ce niveau de réalité participe de l’essence de la connaissance dans le bouddhisme. En zazen, la dualité apparente entre le corps et l’esprit est dépassée par une conscience intégrée corps-esprit. Cette approche intuitive et intégrée devient une composante essentielle de notre façon de voir les choses dans notre vie de tous les jours. Nous vivons et donc nous pouvons dire que notre temps s’écoule mais également nous vivons uniquement à chaque instant. Si nous restons dans un seul niveau de réalité, nous ne pouvons relier les deux. En zazen, cette contradiction disparaît, la conscience du temps et de l’instant sont unifiées. C’est une approche intégrée, c’est à dire à la fois de soi-même et du monde dont nous faisons partie, immédiate, spontanée et directe. Une approche dans laquelle soi-même et le monde qui nous entoure sont réunis, unifiés. Cela représente par ailleurs la seule voie, le seul espoir pour l’humanité, l’essence de l’écologie, le respect et la compassion de tous les êtres.

Le temps en physique et l’instant

Il suffit de se poser cette question sincèrement pour se rendre compte que le temps est une notion qui vit avec nous. Le temps n’a pas d’être propre et n’est donc pas mesurable pour lui-même. Il est éprouvé en fonctions des choses, en fonction de ce qui se passe, en fonction d’un sujet, des êtres humains par exemple. En physique, le temps a été débarrassé de tout ce qui fait son importance pour nous, sa notion a été complètement simplifiée, formalisée, mathématisée. Par exemple en physique le temps est sans direction, la passé et l’avenir n’existent pas. Les équations de la relativité générale sont d’ailleurs symétriques par rapport à la variable temps. Ce temps-là est un temps extrêmement pauvre par rapport à ce que nous vivons et la science a du développer un effort considérable à partir de la fin du 19ème siècle pour rétablir son irréversibilité.

Nous avons conservé dans nos esprits cette notion du temps linéaire qui s’écoule. Elle est réelle, il s’agit simplement d’observer l’écoulement de sa vie. Mais même notre conscience d’un temps s’écoulant de façon régulière et universelle a profondément changé à l’époque moderne.

Dans un chapitre du Shobogenzo, Uji, Maître Dogen parle de l’être-temps. Des écrits innombrables ont parlé du temps, également en physique sur la flèche du temps – la direction du temps -, pourquoi se trouve-t-il que dans notre monde le temps ne va que dans un sens. Jusqu’à ces dernières décennies, le temps était considéré dans les sociétés occidentales comme une entité absolue. Le temps ou plutôt sa mesure est extrêmement bien définie. Et pourtant d’une part Maître Dogen au treizième siècle a parlé de l’être-temps, c’est à dire exprimant le fait qu’en dehors des êtres, de nous-mêmes en particulier, ou de façon plus générale de la présence de matière, le temps n’existait pas de façon absolue. Le temps est complètement lié aux êtres. D’autre part à notre siècle, Einstein a démontré que le temps était une notion relative, dépendant du référentiel où nous l’observons et des masses en présence. Le temps a chuté de son piédestal de variable absolue.

Une des grandes découvertes d’Einstein a été d’établir dans la théorie de la relativité générale que le temps n’est pas absolu mais que son observation est modifiée par la présence de masses dans notre univers. Dans le néant absolu (appelé kakunen musho dans les textes zen), le temps n’existe pas, première chose. En ce sens parler du début de notre univers se réfère uniquement à la notion inexacte de temps absolu et non de temps relatif, car la distribution des masses à l’intérieur de notre univers est en changement constant. En ce sens on pourrait dire que notre univers a surgi de l’infinité du temps, que notre univers et son temps sont nés en même temps, comme l’on dit couramment. Dans le bouddhisme la notion du temps séparant la naissance d’un univers de sa disparition est très vague et correspond à l’idée de kalpa. Un kalpa étant par ailleurs aussi le temps d’un battement de cil de Bouddha, exprimant par là-même qu’il n’a pas de contenu réel ou mesurable de façon absolue. Ceci n’empêche pas d’ailleurs qu’à notre époque, dans notre vie, nous puissions parler du temps écoulé, mesuré par exemple par le déplacement d’une aiguille d’horloge.

La notion de temps disparaît sur le plan cosmologique car il n’existe aucun référentiel extérieur à notre univers visible pour le mesurer. C’est donc une notion qui est interne à notre propre univers. La notion d’un temps mesuré entre l’apparition et la disparition possible de notre univers n’a en soi aucun sens, on peut parler de milliards d’années comme l’on pourrait tout aussi bien parler de fraction de secondes. D’autre part, à l’intérieur même de notre univers, la mesure du temps n’est pas absolue.

Dogen n’exprimait pas autre chose, en d’autres mots. Notre observation du temps dépend d’où nous nous trouvons, dépend et est lié à notre être. Le premier, Dogen, a réalisé que le temps n’était pas une notion absolue, ceci a été observé et démontré par la physique plus tard. Mais aussi, la connaissance de la relativité du temps par les observations de la physique permet également à l’être humain de se rendre compte de la relativité et de l’impermanence de toutes choses, le monde n’est plus perçu comme une entité fixe extérieure à nous-mêmes. Ne pas accepter l’impermanence de toutes choses est certainement une source de souffrance pour l’être humain. D’autre part les notions fondamentales en physique quantique nous permettent de voir toutes choses comme constamment en changement, en interaction réciproque, liées les unes aux autres, comme les êtres humains le sont les uns aux autres et au monde dans lequel ils vivent.

L’univers

Le bouddhisme ancien parle de multitudes d’univers, apparaissant et disparaissant au cours d’innombrables kalpas. Comme si chacun de ces univers était semblable à une bulle qui grossit, explose, disparaît, suivies d’autres bulles. Nous-mêmes ne pourront connaître que notre propre bulle, ce qui n’exclut pas qu’il y en ait d’autres qui resteront inconnues pour nous, d’autres univers à jamais séparés par la frontière du néant.

Le bouddhisme ancien donc a toujours parlé d’une multitude d’univers innombrables, alors que la science occidentale n’a parlé que de notre univers. Comment comprendre cela ? Bien que cela soit notre perception de tous les jours, nous ne vivons pas dans un univers fait de lignes droites. Einstein a démontré dans la théorie de la relativité générale que la géométrie de notre univers était courbée par les masses, ou la matière, en présence. Nous vivons donc dans un univers courbe. La notion d’espace et de matière est liée, l’espace n’existe pas ou n’a aucune signification sans la présence de matière. Le néant est donc une notion inconcevable pour nous car il n’a ni temps ni espace. Notre univers, bien qu’il nous paraisse naïvement infini, trouve sa limite naturelle au point flou où l’influence des masses qui le compose cesse. En ce sens il peut être perçu comme infini ou fini, car cette limite est floue. Par ailleurs notre univers, pris dans sa totalité, pourrait être considéré comme un immense trou noir.

Rien ne s’oppose à la présence d’univers multiples et innombrables, chacun d’eux étant complètement étranger à l’autre, n’ayant aucune connexion spatiale ou temporelle. Ils sont séparés par le néant, alors même qu’en fait la notion de séparation n’a aucun sens, car elle ne peut être mesurée par rien. Les univers sont disjoints. Parler de distance entre ces univers ne signifie rien, car justement il n’existe aucune géométrie commune. L’être humain ne peut connaître ou appréhender que l’univers dans lequel il vit, qui a généré ses propres atomes et ses propres cellules, comme celles de son cerveau par exemple. Cela ne l’empêche pas de pouvoir suspecter que son univers n’est pas unique, bien qu’en fait pour lui-même son univers soit unique. Les autres univers lui sont à jamais inconnus, en ce sens le sien est unique.

Lorsque l’on parle de l’univers, il faut bien savoir si l’on parle de notre univers ou de l’ensemble de tous ces univers non connectés. Au vu de ces considérations, il est probable que l’être humain puisse commencer à percevoir une infinité bien plus immense qu’il ne considérait jusqu’alors. On dit que l’univers du zen est infini. Cet infini-là a été pressenti depuis les temps les plus anciens. Depuis notre siècle cette perception peut être étoffée par la logique scientifique. Cette perception est née en premier de l’intuition généralisée du monde de Bouddha.

Le troisième millénaire et en particulier le vingt et unième siècle verra de plus en plus la réunion de la science et du monde disons religieux, de la compréhension intégrée de notre univers, les deux marchant main dans la main. Ceci était la prédiction de Maître Deshimaru.

 

Mes commentaires

[1] Il s’agit d’une croyance, ce qui est tout sauf scientifique. La croyance dans le progrès de la science, la croyance dans le progrès infini de l’homme occidental. C’est cette croyance qui a permis de développer l’industrie nucléaire en remettant à plus tard la question des produits de combustion, improprement dénommés « déchets ». C’est la même croyance qui permet à certains d’entre nous de penser que la science résoudra la disparition prochaine du pétrole.

[2] Même si la psychothérapie existe depuis l’éternité, nous pensons que la séparation de l’humain de son environnement est responsable de l’accroissement de la souffrance psychique.

[3] Nombreux parmi nous éprouvent une attirance pour la pensée et la culture médiévale. Si vous êtes « intuitif et contemplatif », vous comprendrez mieux pourquoi.