Le scandale de l’Aide Sociale à l’Enfance

Les enfants attirent les pédophiles, parfois déjà condamnés, dans l’enseignement, dans le clergé… Les enfants font parfois l’objet de maltraitance, dans des familles d’accueil qui sont censées être contrôlées par l’administration. Le parcours « administratif » des enfants est parfois aberrant (placement/retrait), en contradiction avec les besoins de développement psycho-affectifs.

On souhaiterait élever des borderlines, on ne s’y prendrait pas autrement.

Les enfants attirent aussi les profiteurs : les comptes de l’aide sociale à l’enfance ne sont pas contrôlés : il est possible de vivre un train de vie dispendieux aux frais de l’argent public.

Un reportage diffusé sur France 5 le 13 septembre 2016 :
Enfants en souffrance, la honte !

On retrouve dans ce reportage la logique bureaucratique, faite de négligence, d’indifférence, de contrôle faible, de médiocrité, de déni.

Comme le fait remarquer Patric Jean, la plupart des terroristes, bien médiatisés par BFM TV, sont passés par les foyers de l’enfance, l’école de la criminalité infantile.

Qui se rappelle que les frères Kouachi, Mehdi Nemmouche (musée juif de Bruxelles), Mohamed Merah mais aussi Hasna Aït Boulahcen (tuée dans l’assaut à Saint-Denis) sont tous passés par des foyers de l’enfance ?

Attentats: la valse des hypocrites ne fait que commencer

Honte à l’Etat français, honte à nous.

Autorité et séduction

Un constat de société

Nous sommes nombreux à faire le constat aujourd’hui d’un manque d’autorité parentale, ayant assisté à une scène désolante, hélas répétitive, celle d’un petit garçon ou d’une petite fille qui insulte impunément sa mère ou son père, ou qui le manipule en obtenant jouets, faveurs, récompenses.

Nous faisons également le constat d’un excès de séduction, lisible à travers le matraquage publicitaire, et le comportement des petites filles, qui souhaiteraient déjà être des femmes, à peine passé leur puberté. Elles affichent parfois des plastiques de jeunes femmes convaincantes, mais révèlent des comportements et des raisonnements infantiles qui risquent de les mettre en danger.

Lorsque l’autorité manque et que la séduction est en excès, la perversion devient l’unique choix familial, avec son cortège de transgressions et de malheurs : non-dits, inceste, violence, alcool, obésité et somatisations de toutes sortes – crise cardiaque, cancer, diabète… – et le cortège des désordres psychocorporels : anorexie/boulimie, drogue, stress, anxiété, dépression…

« L’enfant roi » est devenu une catégorie marketing, et les publicitaires ont bien compris l’intérêt qu’ils pouvaient retirer à profiter de la faiblesse des parents, voire à l’entretenir sciemment, ou à utiliser l’enfant comme un prescripteur. L’enfant devenu roi détrône le roi et la reine (ses parents), et règne en tyran dans la famille et à l’école. Il ne pourra pas devenir prince ou princesse (pour former un couple), et aura toutes difficultés pour devenir à son tour roi ou reine (père ou mère).

N’ayant pas connu de limites, par l’autorité parentale, sa volonté d’expansion est infinie, et se heurtera vite à la Loi, qu’il tentera de contourner plus ou moins habilement. Son avenir est celui : d’un délinquant (personnalité asociale) ; d’une personnalité impulsive et instable, malheureuse et isolée (borderline) ; d’un manipulateur talentueux, faisant une belle carrière mais détruisant son entourage (narcissique ou pervers narcissique).

 

Quel lien y a-t-il entre ces deux thèmes ?

L’autorité et la séduction sont deux qualités ou types de rapport au monde, très souvent en question en psychothérapie.

Souvent, il y a déséquilibre, chez l’homme ou chez la femme, avec une inclination vers l’un ou vers l’autre : excès d’autorité et manque d’habilité relationnelle, personnalité séduisante dépourvue d’autorité parentale ou professionnelle.

Idéalement, un individu « accompli et épanoui » possède ces deux qualités et en fait un usage modéré. Son autorité et sa séduction lui permettent d’influencer un interlocuteur avec respect et bienveillance, de le motiver et obtenir son adhésion dans le sens d’un comportement ou d’un projet. Elles permettent de renforcer la relation. Concrètement, l’autorité et la séduction facilitent l’éducation des enfants, ou la bonne marche d’un service en entreprise ou dans une administration.

 

Comment se construisent ces deux qualités ?

Même si le nouveau né est la rencontre d’un père et d’une mère, même si les futurs parents ont eu neuf mois pour se préparer, et même s’il sort des entrailles de sa mère, celui-ci n’en demeure pas moins un étranger dans la famille, un être ayant déjà sa personnalité définie génétiquement, qui a besoin de séduire sa mère pour se faire adopter !

C’est sans doute pour cette raison que la réaction saine de l’entourage est celle des « gouzi-gouzi » attendris et des sourires un peu béats : nous accueillons ce petit être très vulnérable affectivement, pour l’aider à se construire progressivement, prendre confiance en lui, et s’affirmer. Claude Racamier évoque une « séduction narcissique réciproque des trois premiers mois indispensable au développement de l’enfant » : l’enfant séduit sa mère, et la mère séduit son enfant, pour apprendre à s’aimer mutuellement.

L’enfant doit traverser une étape de « castration » pour quitter sa « toute-puissance », à l’épreuve de la réalité et des limites, et atteindre un « narcissisme secondaire » (vers les 3 ans), dans lequel il développe son « idéal du Moi », il prend conscience à la fois de son incomplétude et de l’importance vitale d’être en relation avec les autres. Cette traversée saine lui apporte : estime de soi, assurance, autonomie, capacité d’entreprendre, et capacité d’investir en toute confiance de nouvelles relations.

 

Autorité et séduction : des valeurs sociales

Comment ces deux valeurs sont-elles portées dans votre famille ? Les hommes sont-ils « respectés et craints » ou « coureurs de jupons » ? Les femmes sont-elles des « femme-enfants » ou « portent-elles la culotte » ?

Comment ces valeurs cheminent et évoluent à travers la généalogie de votre famille ?

Nous pouvons également élargir notre questionnement aux aspects historiques et géographiques :
– comment l’autorité et la séduction, en tant que valeurs sociales, ont évolué en France entre l’avant et l’après mai ’68 ?
– comment ces deux valeurs sont-elles représentées dans des sociétés à orientation patriarcale ou matriarcale, dans des régions planétaires telles que : Europe du Nord, Méditerranée, Afrique Noire ?
– et bien-sûr, selon mon sujet de prédilection du moment, comment sont-elles portées dans une culture catholique, musulmane, juive, bouddhiste, athée, ou autre ?

Vive la liberté d’expression !
:O)

Lecture :
Jean-Pierre Lebrun : Les Couleurs de l’inceste. Se déprendre du maternel.

 

 

 

« Je tu(e) il » – Psychanalyse et mythanalyse des perversions – Michel Cautaerts

Perversions narcissiques - Je tu(e) il - Michel Cautaerts« La peste du XXIeme siècle », c’est ainsi que Michel Cautaerts qualifie les perversions narcissiques. La plupart du temps cachées, elles minent la vie d’un grand nombre de victimes, tant au niveau des couples, des familles que des entreprises.

Les perversions narcissiques
Il y a à peine une vingtaine d’années que les mécanismes des perversions narcissiques font l’objet d’études sérieuses. Connues par le grand public sous le nom de « harcèlement moral » ou de « violence perverse » – grâce aux publications de Marie France Hirigoyen -, peu à peu les professionnels de santé, les éducateurs, les juristes, les enseignants, …, s’intéressent à ces comportements qui empoisonnent la vie d’autrui.

Michel Cautaerts nous livre sa riche expérience de thérapeute. Son livre embrasse un horizon des plus larges, il s’adresse à tous ceux qui sont confrontés à ce type de perversion, en premier lieu aux personnes qui ont pour mission d’aider les victimes et aux victimes elles mêmes.

Comment repérer les pervers ?
Si les victimes, dès qu’elles comprennent dans quel piège elles se trouvent, n’ont aucun mal à décrire le comportement de leur bourreau, pour l’entourage immédiat la situation est  plus difficile à cerner. Les pervers narcissiques sont des individus « normaux », la plupart du temps ils apparaissent sous des angles très avantageux. Mais que l’on ne s’y trompe pas : leur action, bien que souterraine, est redoutable et destructrice !

L’auteur liste les caractéristiques du pervers narcissique :

  • « Ses impératifs lui imposent de ne jamais dépendre et de ne jamais pouvoir être pris sur le fait.
  • Il possède tout les droits et autrui aucun.
  • Si la loi existe pour les autres, lui peut la contourner.
  • Il distille dès lors le flou et la confusion, change selon ses attentes, rationalise, fuit les responsabilités qu’il met sur le dos des autres.
  • Il n’a cure d’aucun cadre, de travail ou de relation.
  • Il exploite autrui au nom de l’amitié mais ne lui rend pas la réciproque.
  • Dans la relation, les demandes sont toujours unilatérales.
  • Il met régulièrement l’autre en cause mais ne peut jamais l’être lui-même.
  • Il se présente comme un malheureux, à plaindre et à aider, ce qu’il n’est pas.
  • Sa préférence va aux communications indirectes, à la manipulation à distance ou par des intermédiaires.
  • Il s’entoure de complices mais n’a pas d’amis. »

A cette liste, extraite du chapitre « Victimes et patients », s’ajoutent de nombreux autres points qui se situent sur le même registre.

Comment aider les victimes ?
Par nature, les pervers narcissiques consultent peu, et s’il le font, ils se présentent le plus souvent comme des victimes, ce qui nécessite une grande habilité et une grande expérience des intervenants pour démêler le vrai du faux.

En présence de victimes avérées, les psychiatres, psychanalystes, thérapeutes, …,  doivent impérativement sortir de leur réserve habituelle, expliquer clairement quels sont les mécanismes mis en jeu et aider la victime à les repérer.

Michel Cautaerts décrit les phases de traitement :

  1. Démonter les mécanismes : prise de notes et écueils à éviter ;
  2. La reconquête de l’identité ;
  3. la reprise du développement normal ;
  4. l’individualisation c’est-à-dire la (re)conquête de l’identité.

Le travail du psychanalyste
Un chapitre est consacré au travail du psychanalyste. L’auteur souligne les différences entre la manière jungienne de travailler et les autres. Il rappelle les règles fondamentales et indique que « La recherche de la vérité se situe au cœur du travail psychanalytique et requiert de la part de l’analyste, d’une part, et du patient, d’autre part, qu’ils fassent preuve de respect et d’honnêteté l’un envers l’autre, conditions indispensables à la sécurité des deux. »

La prise de rendez-vous au téléphone, le premier entretien, le cadre des interventions et bien d’autres éléments sont détaillés. Michel Cautaerts met en garde des difficultés et des dangers que doivent affronter les soignants et autres intervenants qui sont en contact avec des pervers narcissiques.

La question du mal
Derrière les perversions se profile la question fondamentale du mal. Réponse à Job, le livre qui s’est présenté à Jung comme une symphonie, sert de fil conducteur aux  questionnements de l’auteur.

Dans sa conclusion l’auteur indique : « Ainsi, le Mal est une puissance qui ne peut être clivée de l’image de Dieu. Aujourd’hui, sa recrudescence inquiète, dans sa forme moderne, liée à l’abstraction et à l’imaginaire d’une toute-puissance entretenue par les perfectionnements techniques considérables auxquels nous avons assisté depuis quelques décennies. En effet, la multiplication des irrespects de tous ordres, l’expansion des procédés pervers qui sont la nouvelle peste, l’efflorescence et l’extraordinaire multiplication des procédés manipulateurs et la réapparition en force des concepts paranoïaques comme celui de droit du sol montrent jusqu’à la nausée que la lutte du Bien et du Mal est dans une phase critique. »

Cette phrase clef termine l’ouvrage : « Il est urgent de réaliser la rencontre des âmes qui prélude au mariage sacré. »

Plusieurs modes de lecture
Cet ouvrage offre plusieurs modes de lecture, les différents chapitres peuvent être abordés directement, selon l’intérêt de chacun. Ce livre s’accompagne de solides bases théoriques, accessibles à tous les thérapeutes (pas seulement jungiens !), mais également à tous ceux qui sont concernés par le sujet. Plusieurs schémas (dont certains repris de Pierre Solié), et des tableaux, aident à la compréhension des mécanismes sous jacents aux troubles de l’identité.

La mythologie occupe une place de choix. L’auteur établit un lien entre le contenu de certains mythes et les situations vécues aujourd’hui dans les couples, les familles ou les organisations petites ou grandes. Les archétypes, véritables moteur de l’humain, sont décrits, ils apparaissent en filigrane de tous les développements. Les contes ne sont pas oubliés, en particulier ceux en relation avec le thème traité.

Préface de Michel Cazenave, éditions de boeck , 460 pages.

Les fantômes de la guerre 14/18 : Le massacre de Dinant

L’actualité du mois d’aout est à la commémoration du centenaire de la guerre de 14/18. Et voici un article très concret qui montre la survivance d’effets toxiques chez les descendants de victimes civiles massacrées par des militaires.

Parfois dans ma clientèle, la question des génocides est présente. Il n’y a pas de fatalité, il est possible de faire face au passé, même lorsqu’il ne reste plus grand chose de palpable : le passé est en nous, dans notre inconscient, et de façon épigénétique, au niveau cellulaire. La psychogénéalogie peut aider à apaiser l’héritage et la transmission.

L’article original est sur le site de geneasens :

Le massacre de Dinant

Il explique comment les peurs intenses sont transmises de façon épigénétique entre les générations. En voici ci-dessous la conclusion.

Conclusion :1914/2014 : Un cycle de 100 ans à surveiller

Comme nous l’avons vu, les dates anniversaires sont des signifiants très puissants, nous pouvons donc être fragilisés à la date anniversaire d’un événement traumatisant dans notre famille dont nous n’avons pas toujours une connaissance consciente.

Pour le genre humain les cycles de 100 ans sont très symboliques et doivent être pris en compte dans la compréhension de certains processus psychologiques.

A la veille des commémorations qui se préparent pour le centenaire de la grande guerre il est donc plausible que les « fantômes » de la grande guerre remontent du passé dans les familles où les drames vécus par les aïeux non pas été suffisamment élaborés.

Paradoxalement ce retour des fantômes de 14/18 peut être une opportunité pour aider les familles qui sont toujours actuellement impactées par la violence de histoire.

Il sera donc très important que nous soyons attentifs à la manière dont seront menées et ritualisées ces commémorations pour qu’elles conservent leur fonction essentielle liée au devoir de mémoire mais aussi leur fonction indispensable de symbolisation, de réparation et même de guérison de deuils individuels et collectifs parfois inachevés depuis plusieurs générations.

Pierre Ramaut

Deux formes de jeu : game et playing

Voici un extrait ci-dessous de La fabrique des imposteurs, de Roland Gori, p. 279 – 284.

Mon commentaire

Dans l’univers de mes patients revient souvent la tendance qu’ont les enfants et les adolescent.es à se replier sur des activités appauvrissantes, inquiétantes ou dangereuses :
– chez les filles : maquillage vulgaire, pauses lascives suggérant une sexualité débridée chez des fillettes de 10 ans, chant stéréotypé avec accent anglais « vu à la télé » ;
– chez les garçons : jeux vidéos ultra-violents avec scènes de meurtre, de torture, ou à caractère sexuel dégradant l’image de la femme.

Ces activités sont de l’ordre du game : compétition, solitude, stress.

Notre responsabilité de parent nous demande de limiter ces activités, d’en rappeler le caractère dangereux, d’en expliquer les conséquences nocives, même et surtout au risque de passer pour un réactionnaire parce que les parents du meilleur ami de mon fils ont baissé les bras et lui laissent tout faire.

Et au delà des interdictions, proposer des activités « de leur âge », qui sont plutôt de l’ordre du playing :
– créativité à la maison (pâtisserie, peinture, modelage, instrument de musique…) ;
– et en extérieur : jardinage, accrobranche, randonnées à pied ou à cheval, en forêt, en montagne, dans des territoires éventuellement un peu inquiétants ou dangereux, dont on aura calculé le risque au préalable.

L’adolescent est en pleine pensée magique, et il est en demande d’univers fantastique, qui peuvent être fournis dans la réalité : forêts, grottes & gouffres, menhir & dolmen, arbres et autres sites remarquables.

La lecture à haute voix, en famille, des grands classiques mythologiques (Ulysse et « L’Iliade et l’Odyssée », Arthur et « Les chevaliers de la table ronde », « Les contes des milles et une nuits », etc.) et les dessins animés visionnés tous ensemble (par exemple : « Frère des ours »,  « 1001 pattes », « Némo », « Rebelle », etc.) sont une alternative domestique. Prévoir un temps d’écoute et d’échange pour permettre l’assimilation et l’expression des émotions.

Comme Hannah Arendt l’a montré, la vie humaine aujourd’hui n’a plus que le travail pour s’exprimer ou le loisir pour s’occuper : « Le gouvernement au sens ancien a, à bien des égards, cédé la place à l’administration, et l’accroissement constant du loisir pour les masses est un fait dans les pays industrialisés 1.» L’artiste qui constitue, comme on l’a vu, le lieu social et politique d’une résistance à cette transformation dans la civilisation technique du monde ne saurait, sauf à se désavouer, se réduire à un travailleur de la production culturelle. Il a au contraire pour fonction sociale et politique d’être le garant d’une pensée artiste, d’une forme épique de la vérité, quel que soit son art, potentiel à l’œuvre chez tout citoyen digne de ce nom. Tel fut le défi relevé par Jacotot. Œuvre ou travail ? Passion primitive de l’inégalité ou reconnaissance du semblable? Tels sont les enjeux de notre futur pour que l’humanité puisse exister.

Pour répondre à une telle question il faut rappeler que pour le psychanalyste l’œuvre entretient une relation privilégiée avec le jeu par où l’enfant construit authentiquement sa subjectivité et élabore le monde, le monde dans lequel il vit. J’entends ici le jeu comme espace potentiel dans lequel Winnicott 2 localise l’expérience culturelle en tant que lieu où nous vivons vraiment, zone intermédiaire entre la réalité objective et la réalité subjective. Cet espace potentiel permet au sujet de se construire dans une pause des contraintes tant extérieures, qu’il doit sans cesse respecter pour ne pas devenir fou, que subjectives, en provenance des exigences pulsionnelles sans lesquelles il se couperait de son expérience corporelle. L’espace potentiel est le lieu où le sujet n’est pas contraint de choisir entre la brutalité des formes objectivées, en particulier des formes imposées, et le chaos des excitations de désir, informes, morcelées et morcelantes. Cet espace de l’illusion vraie, espace du jeu – playing – constitue le prototype de ce qui, au cours du développement, s’étend progressivement à l’art, à la culture et à l’œuvre de pensée. Le jeu, le rêve ou la poésie en train de se faire, de s’inventer, constitue, comme nous l’avons vu, une thérapie en soi, grâce à laquelle nous entrons en relation avec le monde sans devoir nous couper de notre intimité corporelle et des fantasmes qui lui sont associés. C’est le lieu où à notre insu nous ne cessons de pratiquer des catachrèses, des transformations des formes imposées du monde pour les inventer, nous les approprier subjectivement, les affecter de cette touche personnelle dont sont dépourvues les productions factices et les adaptations automatiques conformes.

Si le monde environnant ne permet pas cette transformation qu’autorise l’illusion du rêve, de l’amour, de l’art et de la culture, alors le sujet lâche le playing au profit du game. Le game est un jeu organisé dans les règles formelles et précises, qui nécessite davantage des stratégies cognitives et des satisfactions haineuses que le playing. De la même manière qu’il faut à l’enfant un « environnement suffisamment bon », « une mère suffisamment bonne » qui tolère qu’en partie son monde soit celui des « doudous » et autres objets « transitionnels », le jeu et la culture ne sont possibles que dans des « sociétés suffisamment bonnes ». Ce qui ne veut pas dire bien entendu des sociétés dépourvues de cruautés, d’exigences, de contraintes et de violences de toutes sortes, mais simplement des sociétés où on peut vivre, jouer, chanter et rêver de temps à autre, sans la pression de l’urgence, et sans cette « fuite maniaque » dans l’excitation permanente que connaissent bien les psys et dont Winnicott 3 a remarquablement décrit les symptômes et les processus : « L’expression « défense maniaque » se propose de couvrir la capacité dont dispose une personne pour dénier l’angoisse dépressive inhérente au développement affectif, angoisse qui appartient à la capacité de ressentir la culpabilité, de reconnaître sa responsabilité pour les expériences instinctuelles, et pour l’agressivité dans le fantasme qui accompagne les expériences instinctuelles. » C’est, nous dit encore Winnicott, un mécanisme couramment utilisé pour ne s’intéresser qu’au bruit, à la lumière et à la fureur du monde extérieur, une fuite en avant frénétique dans des sentiments immédiats et superficiels consistant à dénier la réalité intérieure, le travail de deuil autour duquel le psychisme se fonde. Prosaïquement parlant, un tel mécanisme psychologique et social consiste à vivre au balcon pour ne pas voir ce qui se passe à l’intérieur.

Le game n’est pas la même chose que le playing, il est jeu mais jeu réglé, presque programmé par toutes sortes de contraintes et de stratégies dans lesquelles le sujet se débat pour en tirer le meilleur parti, s’affaire, parfois avec génie, pour réussir ses performances. Le game est l’introduction du monde de la guerre ou du champ de course dans l’espace du jeu, par l’exigence de compétition et de dépassement des performances. Il est plus proche d’un exercice virtuel que de l’expérience créatrice de l’art. Il devient le modèle de ces jeux de l’économie expérimentale qui organise l’art du gouvernement politique d’aujourd’hui, il appartient pleinement, dans sa nature et sa fonction, au domaine de la lutte, lutte contre soi, lutte contre l’autre, voire contre le hasard.

Ce qui ne veut pas dire bien évidemment que le game est à proscrire, puisque les deux formes du jeu se révèlent indispensables pour enrichir notre expérience du monde. Mais le game est également un jeu intéressé par ses résultats et peut-être est-ce ce qui explique en partie la place privilégiée qu’il occupe dans le monde contemporain.

Seul le playing détient cette inutilité essentielle par laquelle le jeu humain localise culturellement l’expérience fondamentale qui le maintient à distance des risques majeurs que sont le rationalisme instrumental et formel comme l’expérience hallucinatoire 4. Le playing, jeu spontané, s’inscrit dans un espace particulier, ni au-dedans, ni au-dehors, dit Winnicott, fait de confiance et d’abandon, au sein duquel nous manipulons les objets du monde extérieur en les affectant des valeurs psychiques du rêve. Mais à aucun moment, l’investissement paradoxal de ce qui est réalisé au cours du jeu ne doit être résolu, puisque c’est « pour rire et non pas pour de vrai ». Il ne faut surtout pas résoudre ce paradoxe dans lequel réalité et rêve sont en un temps confondus, sinon le jeu s’arrête, on tombe dans le monde pur du rêve ou dans celui de la réalité. C’est parfois ce qui se produit lorsqu’au cours du jeu les excitations sexuelles et agressives deviennent telles que le jeu s’arrête. Le playing est donc un mode d’exploration de soi-même et de la réalité, essentiel dans l’expérience vitale d’un sujet. Le game permet également l’exploration du monde, il peut se rapprocher du playing, mais il demeure, comme le dit Winnicott « avec ce qu’il comporte d’organisé, comme une tentative de tenir à distance l’aspect effrayant du jeu [playing] 2 ».

Autrement dit, non seulement du point de vue de la subjectivité, mais encore pour le vivre-ensemble de la collectivité, l’expérience culturelle seule peut éviter la monstruosité du rationalisme morbide, dont nous avons vu jusqu’où il pouvait aller, comme celle des idéologies hallucinées et hallucinantes qui finissent par faire l’éloge de la mort et la destruction du monde concret au nom d’un monde transcendant ou abstrait. Ce qui veut dire concrètement que les arts et les humanités, tout ce qui participe à la fabrique de l’homme ne doit en aucune manière être négligé au profit des enseignements et des formations plus techniques ou étroitement professionnels comme cela l’a été ces dernières années.

1. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), Paris, Calmann-Lévy, 1994, p. 32.

2. Donald W. Winnicott, Jeu et Réalité. L’espace potentiel (1971), Paris, Gallimard, 1975.

3. Donald W. Winnicott, « La Défense maniaque » (1935), in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 15-32.

4. Cf. Roland Gori, Le Corps et le signe dans l’acte de parole, Paris, Dunod, 1978.

Souffrance psychique au travail

Voici un ensemble de liens vers des articles, des livres, des films… pour réfléchir et agir, afin de sortir de la souffrance psychique au travail.

Philippe DAVEZIES
Philippe Davezies est enseignant-chercheur en médecine et santé du travail à l’université Claude-Bernard Lyon I


Marie-France HIRIGOYEN
Psychiatre, psychanalyste et thérapeute familial systémique, Marie-France Hirigoyen a inventé le terme « Harcèlement moral » en 1998. Elle s’est intéressée à la violence psychologique au travail et dans le couple.
Le Harcèlement Moral : la violence perverse au quotidien
Le Harcèlement Moral : la violence perverse au quotidien
II est possible de détruire quelqu’un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus : cela se nomme violence perverse ou harcèlement moral.
Dans ce livre nourri de nombreux témoignages, l’auteur analyse la spécificité de la relation perverse et met en garde contre toute tentative de banalisation. Elle nous montre qu’un même processus mortifère est à l’oeuvre, qu’il s’agisse d’un couple, d’une famille ou d’une entreprise, entraînant les victimes dans une spirale dépressive, voire suicidaire. Ces violences insidieuses découlent d’une même volonté de se débarrasser de quelqu’un sans se salir les mains.
Car le propre du pervers est d’avancer masqué.
C’est cette imposture qu’il faut dévoiler pour permettre à la victime de retrouver ses repères et de se soustraire à l’emprise de son agresseur. S’appuyant sur son expérience clinique, l’auteur se place en effet, en tant que victimologue, du côté des personnes agressées pour que le harcèlement qu’elles subissent quotidiennement soit pris en compte et nommé pour ce qu’il est : un véritable meurtre psychique.
Le sujet du harcèlement moral reste largement inédit en France.
D’où l’intérêt de ce livre remarquablement documenté, qui est aussi un guide pratique pour les victimes ou ceux qui veulent les aider (choix de la thérapie la mieux adaptée, étapes à court et long terme vers la guérison…) et pour les professionnels auxquels il propose une approche nouvelle. Mais plus largement, par son style clair et vivant, il intéressera tous ceux qui ne souhaitent pas rester indifférents face à ce problème de société.

 

Marcel TRILLAT
Journaliste, administrateur de France Televisions. Aujourd’hui à la retraite, il réalise des documentaires.
« Rêver le travail » – film sur utube